La guerre 39-45 à Loudrefing

A Loudrefing, la guerre commence à se faire sentir concrètement dès 1938 avec la mobilisation des premières classes. En 1939 la mobilisation générale sonne le départ de trois frères Marcel, Emile et Lucien pour la ligne Maginot. Ils sont fait prisonniers en mai 1940. Emile est annoncé mort sur le champ de bataille de Hélimer. Agnès, accompagnée d’un voisin, se rend sur le champ de bataille au milieu des obus et mines, afin d’y retrouver son frère, mais celui-ci avait changé de casemate. Il reviendra à Loudrefing, tout comme Marcel et Lucien avant la fin de l’année 1940.

Loudrefing n’est pas évacué. La bataille commence le 16 juin 1940 à 6 heures du matin. Les Allemands entrent dans le village à 17 heures. Une trentaine de soldats polonais infligent de lourdes pertes aux Allemands. La gare, 3 maisons, 3 granges et 2 halliers et 2 maisons sont endommagées. Avant de partir, les soldats français font sauter le pont du canal des Salines. Mais deux bombes incendiaires et quelques bombes ordinaires montrent que toute résistance est vaine. Les Polonais s’enfuient en vélo devant les troupes allemandes ; ils sont immédiatement rattrapés et emprisonnés.

Les Allemands réquisitionnent les maisons vides ou des chambres pour y loger une douzaine de soldats de troupe, et parfois des SS (Schutz-Staffel) dont les têtes de mort (S.S. Totenkopfverband). Trois gendarmes et un maire allemands assurent une discipline de fer, notamment le couvre feu à la tombée de la nuit.

La vie reprend ses droits avec son lot de joies et de peines. Tous espèrent surtout que cette guerre durera moins longtemps que la précédente encore bien présente dans les mémoires. On se rassemble autour de l’unique TSF du village pour écouter les nouvelles du front dans l’espoir d’appendre une défaite des Allemands.

Tous les habitants se promènent avec un masque à gaz à la main. Cela n’empêche pas les plaisanteries sur les Allemands et parfois avec les Allemands. Le dialogue est possible au-delà de la peur et de la haine qui animent les cœurs. Les Allemands présents à Loudrefing n’ont pas pour mission de tuer aveuglement. Ils n’ignorent pas que certains réfractaires (Hausstockensoldaten) se cachent dans les greniers et leur conseillent même de mieux se cacher lorsque ceux-ci admirent le passage des chasseurs anglais du haut d’une lucarne.

Loudrefing compte 27 réfractaires. La famille Meyer cache Marcel pendant quatre semaines. Mais il fallait se prémunir contre les visites inopinées, alors toute entrée dans la maison est annoncée par le chant d’entrée de Jésus à Jérusalem (Gloria laus…) qui retentit jusque dans l’église du village.

La solidarité entre les Loudrefingeois favorise également ces attitudes. Pas de dénonciation ni même de tentative de rébellion contre l’occupant. Le sang ne coule pas sur les terres de Loudrefing, contrairement à d’autres lieux comme Munster qui voit son maire pendu à un chêne devant tous les habitants suite à malencontreux coup de fusil perdu dans la nuit alors qu’un SS faisait tranquillement ses besoins aux toilettes extérieures.

La nourriture ne manque pas en campagne durant cette période. Le pain noir de guerre restera dans la mémoire de bien des palais, mais au moins on ne meurt pas de faim. Chaque habitant se voit attribuer des cartes de ravitaillement. Les religieuses expulsées de l’école n’échappent pas à la règle. Tout le bétail doit être déclaré et il faut livrer du lait, des œufs et de la viande. Un tel règlement favorise le marché au noir. On cache un cochon dans le grenier ; les veaux à naître sont déclarés morts-nés ; les poules pondent moins que d’habitude. Les contrôles sur le bétail n’entraînent que la confiscation des biens non déclarés en cas de fraude ; ces contrôles sont d’ailleurs parfois annoncés à l’avance par les Allemands eux-mêmes afin d’éviter tout problème.

Mais la guerre entraîne avec elle sa cohorte de drames. A l’instar d’Alex, des Français sont réquisitionnés pour se battre avec l’armée allemande. Charles est recruté en 1942. Ces soldats involontaires combattent parfois leurs propres concitoyens, voire leurs propres frères. Se cacher pour éviter de grossir le flot des « malgré-nous » pouvait se retourner contre la famille. Ainsi, Mathilde, la future épouse de Charles, se voit-elle déportée à cause de son frère réfractaire. Elle passe 11 mois dans les camps de Saxenhausen et Origbourg.

A partir le 1944, les hommes comme les femmes sont réquisitionnées pour des travaux de guerre. On creuse notamment des tranchées afin de se prémunir contre les attaques aériennes des américains. Les Américains entrent à Loudrefing le 21 novembre 1944 en venant de Lostroff par la route qui s'appelle, aujourd'hui, la route de la Libération. Toutes les fenêtres fleurissent de drapeaux tricolores et la joie déborde dans les rues.

La mission de ses nouveaux arrivants n’est pas d’organiser le village. Ils sont en pays ennemi et leur objectif est de le nettoyer de toute présence allemande et d’en finir au plus vite avec la guerre. Durant leurs 8 jours de présence, les Américains méprisent les habitants et confisquent tout ce dont ils ont besoin. Il faut attendre l’arrivée des Anglais pour que les cinq cadavres de soldats polonais soient enterrés et que le village retrouve sa sérénité.

La signature du traité de paix le 8 mai 1945 apporte avec lui son lot d’espérances et de déceptions. Les prisonniers rentrent de guerre. Pas tous, hélas. Alex ne revient pas. Agnès apprend son décès suite à une dysenterie, par l’intermédiaire de Lucien, nommé curé à Mouterhouse, près de Bitche. Une vie à recomposer. Anne-Marie n’a pas deux ans. Elle touchera l’indemnité relative aux « malgré-nous » en 1995, soit cinquante ans après la fin de la guerre, d’un montant de 5000 F.